Des ombres sur les pierres by Claire Michaud-Destriau

Auteur:Claire Michaud-Destriau [Claire Michaud-Destriau]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: De Borée
Publié: 2022-04-13T22:00:00+00:00

Adaptation de la cassette 13

La scène que je vis en ce moment même fait écho à une autre dont je me souviens chaque seconde. Je devais avoir six ou sept ans, guère davantage. Liza était en classe et, pour une raison que j’ai oubliée depuis, j’étais restée à la maison, sous la surveillance distraite de maman. À pas feutrés, je m’étais introduite dans la chambre de ma sœur et avais ouvert le tiroir de la commode où elle rangeait sa panoplie de produits de maquillage. Juchée sur le tabouret afin de voir mon reflet dans le miroir au-dessus du meuble, j’entrepris d’expérimenter ce moment tout en féminité qu’aucune femme n’oublie : la première séance de maquillage. Sauf que l’esthéticienne hasardeuse que j’étais fit ses armes sans les conseils de quiconque. Très grossièrement, je tentais d’étaler un trait de crayon sur mes paupières, me figurant que, de lui-même, le tracé noir et maladroit se calerait le long de mes cils. L’ombre à paupières subit un sort identique, inégalement répartie, et ce jusqu’à la lisière des sourcils. Le mascara fut plus technique à manipuler, collant mes cils entre eux comme des épis, la brosse déposant une griffe irrégulière sur les paupières où le peigne avait ricoché.

Avec mon épaisseur de fond de teint et le blush trop accentué rougissant jusqu’au bas de mes mâchoires, j’avais l’air de souffrir d’une étrange fièvre. Lorsque vint le tour du rouge à lèvres, je demeurais persuadée que l’ensemble s’harmoniserait par une alchimie mystérieuse et efficace.

Le bruit soudain de la porte d’entrée me laissa juste le temps de ranger prestement les tubes et palettes avant de courir regagner ma chambre.

Ce ne fut qu’à l’appel de ma mère pour prendre ma douche du soir que je fus démasquée. Moi qui croyais que l’exercice m’eût rendue adorablement jolie, telle une princesse de conte de fées, la cruelle réalité m’explosa à la figure en trois temps : un, estomaquée, maman aspira une exclamation d’effarement en m’avisant ainsi peinturlurée ; deux, sa voix se percha dans les aigus alors qu’elle commençait à me sermonner ; trois, ses cris sortirent Liza de sa chambre qui, elle, en me découvrant si grotesquement grimée, éclata d’un rire si déchaîné que je ne sus où me mettre. J’en fus quitte pour une fessée que l’eau de la douche n’apaisa pas.

Toutefois, deux ou trois jours plus tard, alors que je me trouvais seule avec elle, Liza m’invita dans sa chambre et, m’installant sur les coussins de son lit, entreprit de me maquiller avec cet art dont elle savait si bien user pour se farder. De cet instant en duo avec ma sœur, je garde un souvenir empreint de douceur et de complicité féminine qui, l’espace d’une après-midi, m’avait fait pénétrer dans la cour des jeunes filles.

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